Sans cell, trop cruel: un webdoc co-réalisé par les élèves de l’école Jeanne-Mance |
Sans cell, trop cruel est un projet de webdocumentaire proposé par les RIDM. Il a été conçu et réalisé par un groupe d’élèves de l’école secondaire Jeanne-Mance. Dans cette école, il est interdit d’utiliser un appareil électronique. Si un élève se fait surprendre, il se fait confisquer son téléphone pour une période de dix jours. Certains se conforment au règlement, d’autres trouvent des manières de le contourner. Sans cell, trop cruel donne la parole à un groupe d’élèves qui abordent leur rapport à l’objet et la pertinence d’un tel règlement.
Nous avons rencontré la réalisatrice Marie-Claude Fournier qui a co-réalisé le webdocumentaire avec les élèves. Marie-Claude Fournier a réalisé Femme centaure en 2014, le webdocumentaire Mes États*nordiques qui a reçu le GÉMEAUX de la meilleure série documentaire interactive en 2013 et diverses séries documentaires (Le sexe autour du monde à TV5, La médiation culturelle au Canal Savoir).
Peux-tu me parler du webdocumentaire Sans cell, trop cruel? Comment a été initié ce projet ?
Il a été mis en place par les RIDM qui souhaitaient faire un projet interactif dans les écoles secondaires. Les RIDM sont très actifs en médiation culturelle auprès des jeunes, mais aussi auprès de publics moins accessibles comme dans les prisons par exemple. Je collaborais déjà avec eux dans le cadre de leur programme Jeunes Publics : j’avais présenté mon webdocumentaire Mes États*nordiques et donné quelques ateliers d’écriture. Ils m’ont donc proposé de faire un projet avec une école secondaire en milieu plus précaire. Comme j’avais fait une série documentaire sur la médiation culturelle et que j’avais déjà donné des ateliers de cinéma dans un plan d’habitation à loyer modique, ça m’a plu. J’ai dit oui tout de suite.
Qu’est-ce qui t’a motivée? Quelles étaient tes attentes? Tes craintes?
Je me lance toujours naïvement dans ce type de projet, en oubliant l’ampleur de la tâche. Les jeunes avec qui je travaille ne sont pas des professionnels et n’ont pas nécessairement la maturité pour une telle entreprise. Ils participent à une activité parascolaire pour laquelle ils n’ont aucune obligation. Alors le simple fait de mener le projet à terme semble parfois ardu. Mais j’aime travailler avec les jeunes. Ils t’offrent une énergie particulière, un souffle inspirant. Et quand leurs yeux brillent, c’est magique.
En plus, le web est un secteur en plein essor dont la majorité des emplois sont peu connus du public. Je trouvais important de faire connaître à des adolescents en même temps un genre qu’ils connaissent peu et des possibilités de carrière qu’ils ignorent totalement.
Tu as réalisé une série d’ateliers avec les élèves. En quoi consistaient ces ateliers ? Quel impact ont-ils eu sur le webdocumentaire?
Je leur ai présenté différents webdocumentaires et quelques courts métrages documentaires plus classiques. Avec moi et d’autres professionnels du milieu, ils ont appris à faire de la recherche, à mener des entrevues, à filmer, à capter le son et à faire du montage image. Ils ont aussi eu droit à un atelier d’écriture web avec l’équipe de Pliab qui a conçu le site. Comme je souhaitais travailler avec les forces de chaque élève, après qu’ils aient touché un peu à tout, j’ai divisé les élèves en sous-groupes et leur ai confié des tâches précises. Évidemment, ils ne sont pas devenus des cinéastes à la suite de leur expérience, mais ils ont appris des techniques, une façon de regarder et de communiquer, une éthique aussi, ainsi que l’importance du travail d’équipe. Il n’y a pas de recettes et il faut s’adapter au groupe avec qui l’on travaille, mais si c’était à refaire, je changerais complètement ma structure pour les encadrer davantage.
Faire ce genre de projet, c’est embarquer dans une montagne russe. Un jour, tu es très enthousiaste parce qu’ils ont tout donné d’eux-mêmes et, la semaine suivante, tu es découragée parce que tu as plus de motivation qu’eux. Mais il faut garder le cap, se dire qu’ils apprennent beaucoup sur le médium et sur eux. Je crois sincèrement que ce type d’activités les aide à développer leur créativité et à structurer leurs idées. Le résultat devrait importer peu. C’est le processus qui compte et les connaissances qu’ils acquièrent à chaque étape. Mais finalement dans ce cas-ci, les élèves étaient très fiers du résultat qui était au-delà de leurs attentes et même des miennes !
J’ai vu que le documentaire avait été filmé uniquement à l’aide de téléphones cellulaires. Comment avez-vous choisi le sujet et les procédés de ce documentaire?
Le médium (le téléphone) est venu avant le sujet. La grande majorité des jeunes ont dans leur poche une caméra leur permettant de faire des films et de raconter des histoires. C’est ultra puissant comme outil. Il suffit de parler du sujet de l’intimidation sur les réseaux sociaux pour que les jeunes comprennent le pouvoir de l’image. Mais ce pouvoir, il faut l’utiliser à bon escient. C’était un défi personnel pour moi que de réussir à l’utiliser dans ce contexte. Il a fallu trouver le moyen de capter un son de qualité et de traiter les images de façon plus professionnelle.
Le sujet est venu d’eux à la suite d’une séance de remue-méninge. Au début, ils voulaient parler de la dépendance au téléphone cellulaire. Avec le temps, c’est plutôt devenu le rapport qu’ils entretiennent avec les nouvelles technologies. Nous avons tous appris au cours du processus, en nous rendant compte que ces appareils intelligents pouvaient aussi être des outils extraordinaires au sein de l’école. Il y a même un enseignant qui a complètement changé son fusil d’épaule après l’entrevue avec Mme Fortin.
Tu as réalisé un autre très beau webdocumentaire Mes États*Nordiques et tu viens de terminer Femme centaure, sur l’écrivaine Marie-Hélène Poitras dans lequel on découvre comment sa passion pour les chevaux participe du même élan que son besoin d’écrire. Qu’est-ce que tu aimes dans le format du webdoc?
Il faut faire attention dans l’appellation webdocumentaire. Femme centaure est plutôt un court métrage documentaire destiné au web. La différence se situe au niveau de la structure narrative – linéaire dans le cas de Femme centaure, interactive pour les deux autres. Il s’agit de deux types d’écriture, de deux langages très différents. Le webdocumentaire est selon moi un format qui peut traverser le temps et peut servir comme base de données sur un sujet précis. Femme centaure, par exemple, pourrait très bien être présenté dans un festival ou à la télévision, mais il ne sera probablement plus en ligne dans un an. Les webdoc, eux, restent.
Je n’ai pas de problème avec le fait que Mes États*nordiques ne soient pas le web documentaire le plus révolutionnaire. C’est le contenu qui est la priorité. Et si la promotion est bien faite et qu’il rejoint son public – des gens souhaitant travailler dans le Grand Nord, des professeurs, des gens s’intéressant aux Inuit –, c’est mission accomplie. D’ailleurs, deux ans après sa mise en ligne, nous en avons toujours des échos. Dans le cas de Sans cell, trop cruel, le webdoc peut devenir un outil dans les écoles afin d’aborder ce nouveau phénomène de l’omniprésence du téléphone. Il n’explique pas les problématiques de long en large, mais présente le point de vue des élèves. Si cela avait été mon propre projet, je l’aurais fait bien différemment. Pour moi, c’était important, justement, que ce projet soit LEUR point de vue. C’est ça qui compte.
Ces actions reçoivent le soutien du Programme de partenariat culture et communauté de la Ville de Montréal.
ALLER PLUS LOIN
>> Consultez notre article pour en savoir plus sur le programme Jeunes publics des RIDM.
>> Découvrez d‘autres projets de cocréation dans notre dossier spécial.