Corridor inspirant

Corridor inspirant, projet médiation culturelle

Le jeudi 30 mai 2024, par un magnifique après-midi ensoleillé, nous sommes allés à l’École Jules-Verne, dans l’arrondissement Montréal-Nord, assister à l’inauguration du Corridor inspirant. Fruit d’un processus de cocréation, ce projet au long court célèbre la richesse de la transmission. D’abord, la transmission entre d’anciens élèves de l’École Jules-Verne et des élèves actuellement en 6e année. Puis, la transmission au cœur d’un processus artistique orchestré par la médiatrice Amarande Rivière, avec la complicité des artistes Nelly Onestas Daou, Karene Isabelle Jean-Baptiste et Lazeni Traoré. Le tout permettant à celles et ceux qui vont bientôt quitter l’établissement de laisser à leur tour des traces tangibles.

« Nous sommes le futur.
Nous sommes les valeurs de Jules-Verne.
La bienveillance coule dans nos veines.
Le respect est notre cible et l’engagement est notre combat final.
Nous ne baisserons jamais les bras, car nous sommes ce que nous sommes.
Et grâce à notre école, nous sommes l’inspiration. »

 

Les discours d’inauguration ont débuté par ces mots, prononcés par une élève devant l’auditoire réuni dans le gymnase pour l’occasion. Un poème en forme de devise. Un kasàlà en forme d’auto-célébration. Des mots puissants mis côte à côte pour nous accueillir avec aplomb et fierté.

Genèse

L’histoire du projet est fabuleuse. Elle commence un an plus tôt, en juin 2023, par une discussion entre la professeure de 6e année, madame Stéphanie et sa complice, la médiatrice Amarande Rivière. De quelle façon la médiation culturelle de l’arrondissement de Montréal-Nord pouvait-elle soutenir l’intention de l’enseignante qui disait : « J’ai d’anciennes et d’anciens élèves qui sont sortis de ma classe, de notre école, il y a plusieurs années et qui sont tellement fiers et heureux de leur passage à Jules-Verne ! Comment faire passer ce message-là à nos élèves actuels, ceux de madame Catherine et les miens ? »

Le germe du projet est alors semé. Amarande réfléchit à la façon « d’utiliser tout ce potentiel humain profond avec l’apport de la médiation. Parce que la médiation culturelle, c’est comment on fait rencontrer des artistes avec des enfants, des adultes, et comment on peut faire de la magie », explique-t-elle à l’auditoire.

C’est un processus créatif lent et attentif qui a fait surgir dans un corridor de l’école les 38 silhouettes colorées qui invitent à écouter leur message. Ce processus repose sur un système de relais transmis entre les trois artistes impliqués dans le projet, qui ont tour à tour guidé les élèves de 6e année.

Mais tout d’abord, les élèves de madame Catherine et de madame Stéphanie ont accueilli et écouté les témoignages inspirants livrés par ces anciennes et anciens élèves, toujours attachés et reconnaissants envers leur école primaire et leur professeure de 6e année. Quelques parents, et même le facteur du quartier, sont également venus témoigner.

« Quand on écoute un adulte inspirant, on peut garder ça à
l’intérieur de nous et le transmettre ensuite en poésie. »

 

Les élèves ont par la suite rencontré Nelly Onestas Daou qui est poète. Avec Nelly, les enfants sont allés chercher ce qu’ils avaient de plus profond à dire, inspirés des paroles entendues. Par un chemin patient, chacune et chacun a exprimé par l’écriture ses qualités et ses richesses. Car le kasàlà est une forme d’auto-célébration qui honore la connexion qu’on a avec les autres : « je suis parce que nous sommes ».

Puis, l’artiste photographe nord-montréalaise Karene Isabelle Jean-Baptiste a capturé les postures inspirantes des élèves : Les mots de son kàsàla en tête, chaque élève a adopté une posture qui le faisait sentir à son meilleur. Les images croquées par Karene Isabelle sont ensuite transmises à l’artiste Lazéni Traoré qui va devoir imaginer comment les transformer en silhouettes, celles qui seront apposées au mur du corridor de l’école.

« Le temps a de la valeur.
Il fallait que chaque silhouette soit unique. »

 

« J’avais le choix, explique Lazéni aux élèves, de monter quelque chose numériquement, de l’imprimer, et de venir le coller. Puis c’était fait, vite fait, bien fait, et j’avais terminé. Mais j’estimais que pour toute l’énergie que vous avez mis dans ce projet, je devais trouver un processus différent. C’est pour cette raison que j’ai choisi de travailler avec le bois. J’avais encore deux options. La première, c’était d’utiliser un laser qui allait me couper tout ça vite fait. Mais comme n’importe qui peut couper exactement la même chose que moi au laser, je me suis dit : je vais tout couper à la main, et j’ai tout coupé à la main et j’ai tout poncé. Et j’ai tout colorié. Et même pour les couleurs, ça a été aussi une belle aventure, parce qu’on a fait plusieurs essais jusqu’à ce qu’on trouve les bonnes couleurs, celles du corridor. »

Aspect technologique

Corridor inspirant, projet de médiation culturelle. Une main tient une téléphone intelligent qui pointe vers un code QR.Lazeni Traoré, qui est un artiste en art numérique, a également procédé à l’enregistrement sonore des kasàlàs, lu par chaque jeune en studio. Les paroles captées sont enregistrées et encapsulées. Dans le corridor, elles sont accessibles grâce à un code QR installé à côté de chaque silhouette, ce qui permet d’entendre les mots de l’élève qui accompagnent sa silhouette. On peut également aller écouter tous les kasàlàs en ligne.

Une des participantes nous a confié qu’elle était une personne gênée, qu’elle n’aimait pas parler devant les gens. « Mais, dit-elle, je trouve que Lazeni nous a vraiment mis en confiance. Quand j’étais là-bas, je n’étais pas du tout gênée, je pouvais parler comme je voulais. Il nous mettait vraiment à l’aise. C’était vraiment une bonne personne. Ils ont choisi la bonne personne pour des personnes comme moi. »

Une expérience marquante

Pour les élèves, il s’agit d’une expérience marquante, avec une forte charge symbolique :

– « Quand les personnes sont passées, on voyait vraiment que leur parcours n’était pas facile à la base. En venant nous parler, c’est comme si, par leur parcours, ils nous démontraient que s’il y a des obstacles, on peut les franchir. »

– « Avec ce projet, j’ai pu apprendre beaucoup de choses. Et aussi quand on a fait ça, au début, je le faisais juste pour m’amuser. Mais là, je vois que c’est un bon projet. Et quand je me sens mal, je lis mon kasàlà, ça m’encourage à faire des nouvelles choses. Je trouve ça important. »

– « Je trouve que ce projet nous a tous rapprochés. Que ce soit avec les profs ou les élèves, on s’est tous rapprochés, plus qu’avant. Pour le kasàlà, il y en a qui était gênés de lire devant toute la classe. On a créé des petits sous-groupes. Pour lire, on était moins gênés, on avait plus confiance en nous. Et personne ne riait de nous. »

– « Ce que j’ai bien aimé dans ce projet, c’est qu’il a été beaucoup question de désaccords des parents. Les parents sont vraiment quelque chose d’important dans notre carrière, alors des fois, ils veulent vraiment nous guider vers le bon chemin. Mais nous, on a parfois d’autres envies, alors on se dit que nos parents sont trop durs. Ils nous forcent à aller quelque part, mais c’est souvent pour notre bien. Mais si on trouve le chemin et que ce chemin-là, il est bien, nos parents, c’est sûr, ils nous supporteront sur ce chemin-là. »

« Ça les a touchés. Comme par exemple les profs, ils ont tout écouté et ils ont dit que ça les a fait pleurer et tout. Nous, quand on écrivait, on pensait que c’était un poème normal. Et après, quand tout le monde nous dit que ça les touche, bien, on se sent importants. »

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Ce projet bénéficie du soutien financier de la Ville de Montréal et du ministère de la Culture et des Communications dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de Montréal.

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crédit photo : CSSPI – Mario Desroches, 2024
texte : Sylvaine Chassay