À la découverte du corps-sanctuaire avec Onishka |
Sanctuaire, c’est un projet artistique à vocation sociopolitique entre les Productions Onishka, des artistes indépendantes et des résidentes du Foyer pour femmes autochtones de Montréal. De janvier à août 2016, les participantes expérimenteront la danse, le théâtre, les arts visuels et la vidéo afin de renforcer leur sentiment d’appartenance à l’identité autochtone, mais aussi à d’autres communautés, comme celles des femmes ou des mères.
Dire son histoire avec le corps
Mis en place en 2014 avec une première phase d’expérimentation/recherche/création, le projet donnera forme cette année à une production artistique au travers de plusieurs ateliers de création centrés sur le corps :
- Avec «Action-Réaction», un atelier de création et d’improvisation en danse contemporaine, les femmes vont élaborer une performance dansée.
- Avec «Zoom-in», les participantes vont apprendre à faire des portraits photographiques grand format. L’idée est de permettre aux femmes d’explorer leur corps en détail et de revisiter leur histoire. La peau deviendra comme un livre où les grains de beauté, les cicatrices, les rides en seront le texte.
- L’atelier en vidéo, en technique de tournage et en postproduction «Fragmentation/Synthèse» permettra aux femmes de réaliser deux vidéos expérimentales en danse.
Les femmes créeront des œuvres dans lesquelles leurs histoires personnelles seront racontées loin des stéréotypes. Elles présenteront au public une installation-performance interdisciplinaire née de leurs expérimentations collectives.
ENTREVUE
Rencontre avec Reena Almoneda Chang, une des quatre artistes qui participent à Sanctuaire
Reena Almoneda Chang est danseuse, chorégraphe et éducatrice en mouvement d’origine sino-philippine de Vancouver. Avec Dayna Danger, Melissa Morris et Émilie Monnet, elle est l’une des quatre artistes qui participent au projet de médiation culturelle Sanctuaire. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle du projet .
Quelle est votre implication au sein d’Onishka?
Les Productions Onishka est une organisation de création et de production artistique de spectacles interdisciplinaires, principalement en théâtre. Elle a été fondée en 2011 par Emilie Monnet. Je suis une artiste indépendante en danse qui collabore en ce moment avec Onishka pour cette phase du projet Sanctuaire.
Comment avez-vous été amenée à vous joindre à ce projet?
Dans mon travail, je m’intéresse à la création artistique qui vise l’autonomisation sociale des individus et des communautés marginalisés. Je ne suis pas autochtone, mais je m’intéresse beaucoup au rapprochement interculturel, et donc au partenariat et à l’échange entre des gens issus des communautés culturelles différentes. Il y a quelques années, j’avais approché le Foyer pour femmes autochtones de Montréal avec une autre artiste en arts visuels, qui avait déjà de l’expérience auprès de la communauté autochtone. Mais le projet que nous avions proposé n’a pas fonctionné parce que l’intervenante avec qui nous collaborions n’était plus disponible. Un peu plus tard, j’ai contacté Emilie Monnet, avec qui j’avais collaboré dans le projet AGIR/Art des femmes en prison et dans la performance multidisciplinaire INT/EX avec des femmes incarcérées. Elle a accepté le projet Sanctuaire, que j’avais alors appelé The Body Remembers, et m’a suggéré d’inviter Dayna Danger et Melissa Morris pour collaborer avec nous.
Le projet s’appuie sur une démarche de co-création où les artistes-collaboratrices des Productions Onishka et les résidentes du Foyer des femmes autochtones de Montréal partagent leurs connaissances sans qu’il n’y ait de hiérarchie entre elles. Lors de la première phase du projet, les participantes ont d’ailleurs été rémunérées de la même manière que les artistes afin de créer un sentiment collectif d’identification et de propriété intellectuelle. Qu’est-ce qui vous a motivé à proposer cette structure sans hiérarchie?
L’expérience que nous avions dans le milieu communautaire nous a appris à intégrer le partage du pouvoir de décision dans nos projets. Pour Sanctuaire, il nous fallait mettre en place un processus qui donne à chaque femme la possibilité de prendre la parole et d’exprimer ses opinions afin de contribuer au développement du projet. Beaucoup de femmes avaient déjà certaines connaissances artistiques ou culturelles. Il nous a juste fallu créer un espace dans lequel elles pourraient se sentir à l’aise pour partager ces connaissances. Cela a pris du temps. Les résidentes du foyer ont des vies précaires. Développer leur engagement et leur participation constante a été un gros défi.
Le projet a commencé en 2014 avec une première phase d’expérimentation/recherche/création. Elle a permis aux participantes de s’initier à plusieurs disciplines artistiques et de faire la connaissance des artistes des Productions Onishka. Cette année, la seconde phase va donner forme à une production artistique réalisée grâce à des ateliers de création en danse contemporaine, en photographie, en théâtre et en vidéo. Quelles sont vos attentes pour cette phase?
Cette année, la priorité est donnée aux femmes qui ont déjà participé à la phase 1 afin d’approfondir avec elles le processus de création. Bien sûr, certaines femmes ont quitté le Foyer ou ont trouvé du travail, alors elles ne sont plus disponibles pour s’impliquer dans le projet. Néanmoins, il y en a beaucoup qui reviennent car le projet leur a beaucoup apporté.
J’espère que ce projet, cette expérience, donnera aux femmes la possibilité d’exprimer un aspect de leur vécu qu’elles n’ont peut-être pas eu l’opportunité d’exprimer ailleurs. D’après mon expérience, le processus créatif nous permet parfois de transformer notre manière de voir, de vivre et d’interagir avec le monde. Même si la priorité des femmes est de récupérer leur vie et de guérir d’expériences vécues très difficiles, mon espoir est qu’elles puissent découvrir de quelle manière une expérience artistique peut être un outil de transformation personnelle. J’aimerais aussi que le projet continue de vivre, qu’il devienne un projet de développement culturel durable, si vous voulez. Ce sera une grande réussite si des participantes reprennent la direction et la responsabilité du projet, pour en faire un projet fait pour et par la communauté.
Et vos appréhensions?
Je n’ai pas vraiment d’appréhensions à propos de Sanctuaire. Ça fait longtemps que je fais des projets communautaires, et j’ai appris à accepter ce qui émergeait au cours du processus, à donner plus d’attention à ma présence dans le groupe, à donner de l’espace aux autres et à ne pas m’attacher à des objectifs trop immuables. En travaillant dans le communautaire, surtout avec des non-professionnelles qui sont dans une étape difficile de leurs vies, il faut absolument accepter l’imprévu dans le déroulement du projet. Il faut trouver un équilibre entre la valorisation de ce qui émerge dans le moment présent et la rigueur nécessaire qui permette d’avancer jusqu’à l’œuvre final.
Pensez-vous que cela nourrisse votre travail en tant qu’artiste?
Absolument. Dans ce projet, on explore certains concepts qui font partie de ma propre pratique artistique comme le métissage de diverses esthétiques culturelles, la rencontre entre les expériences personnelles et les enjeux globaux et sociaux, et surtout l’exploration du corps comme contenant de mémoire et conteur de l’histoire de l’individu. Je m’intéresse à la manière dont le mouvement révèle la vision du monde d’un individu, et à la façon dont la danse peut exprimer cette vision du monde.
À noter : Les Productions Onishka, en partenariat avec le Foyer des femmes autochtones de Montréal, bénéficie du soutien financier Programme de partenariat, culture et communauté pour réaliser le projet Sanctuaire.
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>> Découvrez notre dossier spécial sur les femmes et la médiation culturelle.