Rencontre avec Luce Botella, agente culturelle à la maison de la culture de Côte-des-Neiges |
Luce Botella est agente culturelle à la maison de la culture de Côte-des-Neiges. À l’aube de son départ à la retraite, nous l’avons rencontrée pour découvrir son travail passionnant et son engagement de tous les jours dans la médiation culturelle.
Quel est votre parcours professionnel dans le milieu de la culture?
J’ai toujours travaillé dans le milieu de la culture. Lorsque je suis arrivée au Québec il y a quarante ans, j’ai commencé par travailler dans le milieu de la culture en Abitibi. En parallèle, je faisais un baccalauréat en animation culturelle. Dix ans plus tard, quand je me suis retrouvée à Montréal, j’ai intégré le milieu des maisons de la culture et je suis allée faire un baccalauréat en histoire de l’art. Grâce aux maisons de la culture, j’avais découvert les arts visuels et je m’y suis beaucoup intéressée. Mais j’aime aussi énormément les arts de la scène. Je suis une vraie généraliste.
Comment se sont passés vos débuts comme diffuseur?
Lorsque j’ai commencé à travailler à la maison de la culture, je me suis vite rendu compte que c’était un métier qui allait me demander beaucoup d’investissement. Ça peut avoir l’air banal de dire ça, mais le métier de diffuseur est un métier extrêmement prenant qui ne peut pas se limiter à des horaires de bureau. Après mon baccalauréat en histoire de l’art, je me suis occupée uniquement de ce métier. Si on veut faire un bon travail de diffuseur dans un lieu, il faut aussi sentir ce qu’il se passe ailleurs. Il faut s’investir beaucoup dans le lieu, mais aussi dans le milieu artistique de manière générale.
Depuis combien de temps travaillez-vous à la maison de la culture de Côte-des-Neiges?
Ça fait 22 ans. Alors, c’est fou, quand on dit « 22 ans », ça a l’air long, mais je dois avouer que je n’ai pas vu le temps passer. Je ne me suis jamais ennuyée. Ces 22 ans ont été remplis par les rencontres avec les artistes que j’ai côtoyés, par les artistes avec qui j’ai développé un lien, une fidélité; ils ont été remplis par les projets qui ont défilé. Ça me plaisait beaucoup d’être toujours dans le présent, même si ça peut être essoufflant parfois.
Je pars avec une ferveur intacte, le même élan et le même plaisir à venir au travail qu’il y a 22 ans. J’aime le quartier. J’aime la belle galerie du 3e étage toujours remplie de projets passionnants. J’aime le rapport qui s’installe avec l’autre galerie.
Êtes-vous confiante pour l’avenir de la maison de la culture?
Ça a été une expérience d’une grande richesse, et je passe le flambeau avec confiance, même si je ressens aussi une certaine fébrilité. Beaucoup de choses vont changer. J’ai fait les choses à ma mesure, avec mon regard sur ce qu’il me semblait important de développer. Mais il faut laisser aller tout ça et s’ouvrir au changement. L’équipe de Côte-des-Neiges est très solide. C’est important. Quand on travaille dans un arrondissement où il faut sans arrêt faire valoir la culture, aller chercher du financement, faire bouger les choses, on est vite découragé si on n’a pas une équipe solide. Je travaille avec cinq personnes qui forment un tout et partagent une même vision des choses. J’ai aussi beaucoup aimé travailler avec l’équipe centrale du réseau Accès Culture. C’est une équipe jeune, très allumée, avec laquelle, je me sens en accord, ce que je ne ressens pas toujours avec les collaborateurs dans notre arrondissement. À chaque fois que j’étais découragée de ce mur que je frappais à l’arrondissement concernant mes projets, je me retournais vers les projets qu’on bâtissait avec l’équipe d’Accès culture. Ça me redonnait l’énergie d’aller de l’avant.
Comment s’est passée l’intégration de la médiation culturelle dans votre travail?
La médiation ne s’est pas implantée de manière naturelle et sereine. Je viens de la vieille école. J’ai été formée avec l’idée que c’était la diffusion qui était importante, que le rôle d’un diffuseur était de se centrer sur les besoins de l’artiste et de son œuvre. Alors, quand la médiation a fait son entrée dans les arts, j’ai eu beaucoup de réticence. Il a fallu que je remette en question l’équilibre que j’avais appris entre, d’un côté, cette passion qu’on nourrit pour le travail des artistes et, de l’autre, une nouvelle exigence tournée vers la participation du public. On se demandait s’il y avait un glissement de notre action. Les artistes avaient-ils encore une place juste dans notre travail? La médiation n’était-elle pas juste un feu follet qui allait brûler et disparaître aussi vite qu’elle était apparue? Il a fallu qu’on travaille sur le terrain, qu’on développe de nouveaux genres de partenariats pour comprendre à quel point la médiation était importante. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain.
Et aujourd’hui?
Quand j’en parle aujourd’hui, je vois à quel point la médiation culturelle a pris une place importante dans ce lieu. On a pris conscience de manière beaucoup plus fine, beaucoup plus précise, de notre environnement, de notre territoire, de nos populations et des enjeux autour de la diffusion grâce à la médiation. Depuis un certain temps, je ne suis même plus capable de faire une programmation en diffusion sans penser à la médiation. Pourtant, je dois avouer que c’est encore très difficile, parce qu’on travaille par projets : on fait un projet, on le termine, on en commence un autre, on le termine, etc. Je pense qu’on est rendu à une nouvelle étape grâce à laquelle il va falloir mettre en place une vision à moyen et à long terme*. Il faut que les arrondissements et les gens pour lesquels on travaille comprennent mieux ce qu’est la médiation. Il faut qu’ils comprennent les raisons pour lesquelles ça vaut la peine de mettre le paquet de ce côté-là sans pour autant diminuer l’importance de la diffusion.
Quels sont les gestes qui permettraient d’aller de l’avant?
Mon point de vue, c’est qu’on est à la croisée des chemins. Il faut absolument qu’on ait des ressources et des budgets pour la médiation qui proviennent directement de l’arrondissement pour bonifier ce que l’on fait. Les partenariats que l’on monte dans les projets de médiation culturelle sont très volatiles. On ne peut pas continuer à passer de projet en projet, et à faire du saupoudrage. Il faut que ce soit plus solide. Il faut qu’il y ait une reconnaissance de l’importance de la médiation dans un lieu comme un arrondissement. Si on n’a pas un médiateur sur place qui maintient ces liens, la base est trop fragile pour réussir à les maintenir sur le long terme.
L’autre élément sur la médiation qui me questionne beaucoup en ce moment, c’est de savoir aussi jusqu’à quel point les projets doivent s’immiscer dans l’éducation. Après tout ce qu’on a fait pour favoriser la rencontre entre les artistes et le public, je me demande si on ne devrait pas aller plus loin, si on ne devrait pas donner des outils de compréhension plus poussés en art contemporain pour ces clientèles-là. C’est ce qu’on est de plus en plus amené à faire. Mais je me demande si c’est vraiment notre rôle et si nous sommes outillés pour le faire.
À la maison de la culture de Côte-des-Neiges, j’ai toujours tenu à travailler avec des médiateurs et à les former pour que leur travail dépasse du cadre de la réalisation d’un projet ponctuel. À l’heure actuelle, Marc-Alain Robitaille travaille essentiellement avec notre maison de la culture. Je suis chanceuse d’avoir quelqu’un comme lui, parce que c’est un travail qui demande beaucoup. D’une certaine façon, c’est un ambassadeur. Il porte d’abord l’image de la maison de la culture et ensuite celle de la médiation. Quand il rentre dans une école, dans un organisme communautaire ou dans un lieu d’enseignement quelconque, il faut qu’on le connaisse et qu’on le reconnaisse. Et ça, on ne peut bien le faire que si on a un médiateur toute l’année dans un lieu.
C’est ce que vous essayez de faire notamment avec l’école La Voie. L’exposition PEUT MIEUX FAIRE – Cahiers d’exercices présentée actuellement dans la galerie s’accompagne d’un projet de médiation avec des jeunes de l’école. C’est la deuxième année que la maison de la culture collabore avec cet établissement?
Oui, on fait un deuxième projet avec les étudiants en perte de vitesse de l’école La Voie cette année. On espère en faire un troisième l’an prochain. C’est le meilleur moyen d’avoir des résultats, parce qu’on a une école qui embarque et des professeurs qui comprennent ce que l’on fait.
L’an dernier, on a bâti un projet avec des jeunes de l’établissement et la photographe Caroline Hayeur. L’artiste leur a appris les bases de la photographie, ils ont fait des choix esthétiques, ils ont parlé de leur intimité, de leurs lieux, ils ont échangé ensemble. À la fin, leur travail a été présenté dans une exposition à la maison de la culture. On les a vus très fiers d’être allés jusque-là. Les jeunes ne veulent pas être seulement des regardeurs, des témoins. Ils aiment qu’on professionnalise leurs gestes.
Cette année, ce sont les étudiants eux-mêmes qui ont demandé à la direction de l’établissement de monter un nouveau projet de médiation culturelle, après avoir entendu parler de celui qui avait été organisé l’an dernier avec Caroline Hayeur. Ça veut dire que le premier projet a eu un impact important.
Quels sont les autres projets de médiation particulièrement forts qui ont été montés à la maison de la culture de Côte-des-Neiges ces dernières années?
À Côte-des neiges, notre couleur, c’est la médiation en lien avec des projets en arts visuels. On la rattache à nos expositions, surtout pour les projets d’été, parce qu’on travaille beaucoup avec les jeunes et avec les nouveaux arrivants qui étudient dans les classes de francisation pendant l’été.
J’ai été très émue par le projet des Ville-Laines qui s’est tenu l’été dernier. Elles ont recouvert la terrasse avec une œuvre collective en tricot faite pendant des ateliers de médiation avec 14 jeunes mères de La Maison Bleue de Côte-des-Neiges, un organisme qui accueille des mères en contexte de vulnérabilité. J’ai vu des femmes de toute origine arriver à la galerie avec leurs enfants. Certaines parlaient le français, d’autres non. Certaines étaient voilées, d’autres non. Mais elles ont toutes tricoté, tout en partageant leurs cultures. C’était un magnifique moment de rencontre.
Comment mesurez-vous les effets et les résultats de la médiation culturelle à la maison de la culture?
Nous, comme diffuseur, nous avons l’impression d’avoir une action directe sur un mieux vivre, sur une manière de communiquer dans une société. Mais on ne peut pas mesurer les résultats avec des chiffres ou des sondages. Ce qu’on peut mesurer, c’est la satisfaction des participants à la fin d’un projet. Par exemple, le fait que ce soient les jeunes eux-mêmes qui aient demandé à la direction de l’école La Voie de monter un nouveau projet de médiation culturelle avec nous signifie beaucoup. Ce qui marche, ce n’est pas seulement un projet ponctuel dont les résultats à long terme sont parfois difficiles à mesurer. C’est aussi un partenariat qui perdure depuis plusieurs années au bénéfice des adolescents. C’est important pour la maison de la culture de Côte-des-Neiges de poursuivre cette collaboration entre deux institutions du même quartier, car mettre en place un projet de médiation culturelle exige tellement de temps et d’investissements qu’on peut facilement avoir une impression d’éparpillement si l’on ne travaille que sur des projets individuels.
En ce moment, on commence tout juste un projet de collecte de comptines et de berceuses venant des quatre coins du monde avec des artistes et deux organismes communautaires du quartier. C’est un projet majeur qui va s’étaler sur plusieurs années, et c’est l’organisme qui est entré en contact avec nous pour nous parler de son idée de berceuses. J’y vois la marque d’un intérêt de plus en plus important pour la médiation culturelle.
En savoir plus
>> Découvrez les projets de médiation de la maison de la culture de Côte-des-Neiges sur notre site.
>> Découvrez… «le secret le mieux gardé de la maison de la culture de Côte-des-Neiges » avec Luce Botella (Vidéo 2012).
>> Découvrez l’analyse et l’impact du projet «Les Déjà-prêts/Ready-Mades», réalisé par la maison de la culture de Côte-des-Neiges, un des projets ayant fait l’objet de la recherche «Les effets de la médiation culturelle : participation, expression, changement» :
* NOUVEAUTÉ : Le Programme de médiation culturelle des arrondissements montréalais, qui soutient les projets du réseau Accès culture depuis 2005, subit une cure de jouvence en 2015 pour consolider le développement et le financement en médiation culturelle. À partir de cette année, des plans de médiation culturelle pluriannuels permettront de pérenniser les partenariats et les actions développés par les équipes des maisons de la culture et du réseau Accès culture. Un changement positif pour l’avenir!