Une rencontre avec l’artiste Mathieu Jacques |
«J’avais pris conscience qu’il y avait une grande partie de mon travail qui était relationnelle, que la notion de rencontre était centrale.»
– Mathieu Jacques
Mathieu Jacques est un artiste multidisciplinaire qui s’est fait connaître par ses vidéoclips pour We are Wolves et Donzelle, et par ses performances de dessins lumineux avec Organ Mood et Jimmy Hunt. Il nous parle de sa rencontre avec Guillaume Lapierre dans le cadre du projet de médiation culturelle Tandem Créatif. Créé par l’organisme Exeko, le projet permet chaque année à des artistes professionnels et à des artistes émergents ayant une déficience intellectuelle de former des duos afin de partager leurs pratiques et de réaliser des œuvres communes.
Tu as été sélectionné pour former un duo avec l’artiste Guillaume Lapierre dans le cadre de Tandem Créatif. Comment avez-vous choisi sur quoi vous alliez travailler?
Au début, j’ai proposé à Guillaume de travailler sur des projections comme celles que je fais avec Organ Mood. C’est un duo musique et arts visuels qui crée des environnements immersifs. Mais on s’est vite rendu compte que le processus pour composer une image était bien trop complexe, et trop abstrait aussi. Il faut dessiner une image à l’envers avant de la projeter sur le mur et de la séparer en plusieurs morceaux. Ça demandait de passer par un long apprentissage et ce n’était pas ce que je voulais. On a peu de temps : une rencontre de quatre heures par mois. C’est rapide.
Du coup, on est allé vers la sérigraphie. La sérigraphie, c’est mon principal médium. C’est une technique qui s’assimile vite. C’était parfait. On pouvait s’embarquer dans la création rapidement à deux sans avoir besoin de passer des heures à se familiariser avec l’outil. J’ai trouvé un processus d’acétates grattées qui nous permettait d’imprimer souvent et rapidement. Ça a super bien marché. Avec ça, on a créé une mosaïque de grandes affiches sérigraphiées .
Est-ce que tu connaissais déjà la pratique de Guillaume Lapierre?
Je l’ai découverte au cours du projet. En fait, lui, il fait vraiment beaucoup d’affaires. Il a participé à une pièce de théâtre, il a fait de la danse. Il avait aussi des ateliers de peinture. Mais c’était un contexte vraiment différent de Tandem. Là-bas, j’ai eu l’impression qu’ils étaient très encadrés alors qu’avec Tandem, je voulais qu’on travaille ensemble.
En découvrant le genre de peintures qu’il faisait, je me suis dit que la sérigraphie allait être vraiment naturelle pour lui. Il fait beaucoup d’aplats de couleur, comme en sérigraphie. Je lui ai proposé une technique et il se l’est appropriée. Je lui montrais des choses que j’ai faites, je lui donnais des idées et je voyais si ça l’inspirait. Je ne parle pas d’idées conceptuelles, plutôt d’outils techniques. Comment utiliser la sérigraphie pour obtenir tel ou tel effet.
Tu avais une idée préconçue d’à quoi ressembleraient ces ateliers?
En fait, ça a été assez différent de ce que j’imaginais. D’un côté, on a développé une relation qui est assez semblable à celle que tu développes avec d’autres artistes dans le cadre de projets collectifs. Avec la sérigraphie, il y a souvent ce genre de collaboration entre l’artiste imprimeur et l’artiste. D’un autre côté, la conception de Guillaume de ce qu’est une œuvre d’art était très différente de la vision de mes collègues quand j’étais étudiant ou même maintenant. C’est vraiment basé sur le plaisir et sur l’instinct. C’est super intéressant…
Qu’est-ce qui t’avait motivé à poser ta candidature pour ce programme? Quelles étaient tes attentes?
Pour moi, c’était un peu pour pousser plus loin une démarche que j’avais déjà commencée dans ma pratique. J’avais réalisé Projet populaire pour mon projet de fin d’étude de maîtrise en arts visuels : une enquête pour laquelle j’avais fait plusieurs entrevues. J’avais pris conscience qu’il y avait une grande partie de mon travail qui était relationnelle, que la notion de rencontre était centrale. Après ça, j’ai aussi fait les ateliers Diffuse et résiste pendant le Printemps érable. C’étaient des ateliers de sérigraphie ouverts à tous pendant lesquels on imprimait des affiches pour les manifestations. Les gens qui venaient n’avaient pas nécessairement de pratique artistique.
Tandem Créatif a été aussi une façon de faire de la rencontre le centre de mon travail, de me mettre dans une situation dans laquelle je n’avais pas beaucoup de repères. C’était mon impulsion de base.
Qu’est-ce que tu en as retiré?
La rencontre avec Guillaume, c’est surtout ça qui a été important. Je pense que c’est ça qui a été le plus évident.
Après, ce que j’en retire aussi, c’est une sorte de potentialité ouverte, quelque chose qui a commencé et est supposé continuer. Malheureusement, cette année, je vais être trop occupé. C’est un projet qui demande du temps. Et la première année, on en consacre beaucoup à la rencontre. À la fin, on était pressés et je n’ai pas trop aimé ça. C’est pour ça que j’aimerais pouvoir continuer dans un an, en espérant qu’on trouve un moyen pour que ça fonctionne aussi avec Guillaume. Lui, je ne sais pas si il veut continuer ou non. Je pense qu’il a aimé ça.
En fait, toutes ces situations ont été vraiment instructives. Tu dois vraiment essayer de comprendre quelqu’un même si tu vois que la communication ne marche pas tout à fait de la façon à laquelle tu es habitué. Mais ça s’est passé beaucoup plus simplement que ce que j’imaginais. J’avais des préjugés. Et tout a été beaucoup plus simple. C’était le fun.
À la fin de l’année, vous avez présenté vos œuvres dans le cadre de deux expositions collectives, une à l’Écomusée du Fier Monde et une à Articule. Est-ce que tu penses que la perspective de l’exposition était une bonne stimulation ?
Quand Guillaume a vu que son nom était écrit sur la vitrine d’Articule, il était fou de joie. On a pris une photo de lui devant son nom.
L’exposition, tu ne peux pas ne pas la faire. L’art visuel, c’est un art… visuel. Autrement dit, ça prend son sens au moment de la réception de l’œuvre par le spectateur. Tu n’as pas le choix. Ne pas exposer, ce serait comme faire une pièce de théâtre sans spectateur. Ce n’est pas nécessairement stimulant, mais c’est nécessaire en soi. Le jeu de l’art inclut l’exposition.
Après oui, ça prend une exposition pour se donner un objectif et une échéance. On a besoin de l’exposition à venir pour se faire travailler sinon on fait juste des brouillons ; on accumule des brouillons, de la recherche, mais on ne fait pas d’œuvres comme telles.
À noter : Exeko a bénéficié du soutien financier du Programme montréalais d’action culturelle.
Pour en savoir plus sur le projet Tandem Créatif
>> Découvrez notre article sur le projet Tandem Créatif.
>> Cet article fait partie du dossier Les partenaires au cœur de la médiation culturelle.